Le wotagei, l’art des otakus
Le ヲタ芸 (wotagei) est une danse japonaise née en 2009, qui se base sur l’utilisation de bâtonnets lumineux. Cet art s’est très rapidement développé ces dernières années et en seulement 11 ans d’existence, le wotagei accumule un journal amateur et plusieurs millions de vues sur Youtube à travers ses groupes de danseurs emblématiques.
Aux origines du wotagei
L’otagei (オタ芸) (1) est né dans les années 70-80 et existe toujours de nos jours. L’otagei est un ensemble de cris, de gestes et de pas de danse généralement assez maladroits réalisés par certains fans d’idols surnommés « wota » (ou wotaku). Ce mouvement s’est amplifié aux environs des années 2000 par le biais du Hello! Project, lors du lancement en masse de différents groupes d’idols par le producteur Tsunku. Cela a notamment donné lieu à l’ascension des Morning Musume.
À partir de 2009, un groupe d’otagei nommé Ginyu forcE s’est mis à faire des chorégraphies travaillées en utilisant des bâtonnets lumineux, les cyalumes ou psylliums (traduit par les Japonais en romaji depuis le mot サイリウム).
Les performances de ce groupe étaient trop différentes de l’otagei pour garder ce nom originel. Le wotagei est donc né. En effet, il s’agit dorénavant plus de véritables spectacles en vidéo que de simple encouragement aux idoles (et il n’est pas nécessaire d’être un wotaku pour pratiquer le wotagei). L’otagei est d’ailleurs considéré comme un « art souterrain », avec une connotation un peu sombre et négative. À l’inverse, bien que beaucoup de Japonais aient encore de gros a-priori sur le wotagei (2), cet art est de plus en plus considéré comme « cool » et les groupes de wotagei ont maintenant plusieurs dizaines de milliers de fans.
Le wotagei, un sport artistique
Le wotagei offre un nouveau point de vue, une nouvelle perspective sur le monde de ceux que les Français appellent les otakus. S’il y a quelques années, l’image que le monde en-dehors du Japon avait des otakus correspondait à des personnes à la limite du hikikomori qui ne prennaient pas soin d’elles et passaient leur journée avachies à lire des mangas ou à jouer à la console, aujourd’hui cela a commencé à changer et les pratiquants du wotagei y contribuent également. Tous les groupes comprennent de véritables sportifs capables de soutenir le rythme très soutenu de leurs chorégraphies. On peut le constater en regardant leurs vidéos et les détails de leurs danses. C’est un travail qui leur prend plusieurs dizaines d’heures d’entraînements. Ils sont, en effet, parfaitement synchronisés malgré le fait qu’ils soient dans l’ombre et ne se voient presque pas. Ils ne se regardent d’ailleurs pas une seule fois.
Plus que de simples danses réalisées par des fans d’animes et de divers chanteurs et idols, ils ont réussi à créer un style artistique bien à part. On ne doit pas oublier que les habitants du Japon, lorsqu’ils apprécient réellement quelque chose, se lancent corps et âme dedans. C’est probablement ce qui a fait exploser la popularité de leur art ces dernières années.
Leur mouvement est principalement basé sur des génériques d’animes. À partir de l’histoire de cet anime, les membres du groupe montent un scénario qui leur servira à mettre en place une chorégraphie, à choisir les cyalumes qu’ils ont utiliseront (3) et à acheter des costumes appropriés.
Analyse du clip - Alerte spoiler Demon Slayer
Dans la vidéo ci-dessus, on peut remarquer la mise en place d’une chorégraphie autour des personnages principaux de Demon Slayer et de leur histoire : un démon (cyalumes rouges) arrive chez Nezuko et Tanjiro (cyalumes verts), assassine leur famille en faisant couler le sang et transforme Nezuko en démon. Tanjiro entame donc un périple durant lequel il deviendra un demon slayer et rencontrera les autres demon slayers et les piliers (petits cyalumes jaunes). On pourrait interpréter la succession de longs cyalumes jaunes puis rouges comme la bataille finale du manga.
En tant que danse, le wotagei a développé ses propres caractéristiques. Il existerait plus de 1 000 mouvements différents réalisables (tous ont leur nom et leur signification), car tout groupe ou individu pratiquant le wotagei a la possibilité de créer ses techniques. En effet, ce n’est pas un sport dont les règles sont gravées dans le marbre, il est très jeune et évolue en permanence.
Les danseurs de wotagei sont surnommés les 打ち師 uchishi (4), parce que l’action de danser le wotagei est décrite comme « frapper » (打つ en japonais). Certains mouvements peuvent en effet donner l’impression que les danseurs frappent l’air.
Le rosaire : c’est un mouvement de base du wotagei, consistant à lever les bras vers le haut avant de les descendre. Cela représente une croix, comme si le danseur réalisait une prière pour la personne qu’il soutient.
Outre leurs talents de danseurs, les groupes de wotagei qu’on trouve sur Youtube prouvent qu’ils savent faire du montage et des effets spéciaux de qualité, ce qui ajoute une dimension artistique supplémentaire à leur travail et implique une véritable écriture du scénario, comme mentionné précédemment.
Le wotagei sur scène
Les groupes de wotagei ne s’arrêtent pas au fait de poster leurs performances sur Youtube. Ils font aussi et de plus en plus des spectacles sur de véritables scènes depuis quelques années.
La première organisation de démonstrations publiques de wotagei au monde accueillant plusieurs groupes a eu lieu en 2016, par le biais du « Tokyo Romance Park » (5). L’évenement est payant et se déroule environ une fois tous les trimestres.
Sur la même lignée a été créé le « Man of the Romance Park », le premier événement de battles de wotagei au monde. Cela permet aux différents groupes composant le mouvement de montrer au public leurs techniques les plus spectaculaires et de continuer à faire progresser cet art en développement par le biais de compétitions.
Conclusion
Si le wotagei est méconnu des Japonais et que la frontière séparant l’otagei et le wotagei paraît si mince que certains pensent qu’il n’y en a pas, cela va probablement changer dans les prochaines années. Le wotagei se développant toujours plus en tant que sport artistique à part entière (6), les différences entre l’otagei et le wotagei vont probablement se multiplier. Aujourd’hui, la seule différence sur laquelle tout le monde semble réellement s’accorder est la présence ou l’absence de cyalumes dans les mains du danseur. Néanmoins, la réalisation de chorégraphies travaillées à but principalement artistique, la variété des pas de danse, l’utilisation d’une plateforme vidéo, de montages et d’effets spéciaux, le choix de costumes et de cyalumes bien particuliers seront sûrement déterminants et pris en compte dans une future définition du wotagei.
Si le wotagei parvient à s’imposer à un public plus international, composé notamment de fans d’animes et de culture japonaise, il pourrait trouver une scène sur laquelle son succès ne tarira pas. Si cela arrivait un jour, il deviendrait un élément intéressant du cool Japan.
Sources
- Yahoo
- Wotagei Times
- Tokyo Romance Park
- Wikipédia FR : Hello! Project
- Akiba Kankô
- Image d’en-tête (Ginyu forcE)
- Image de wotaku
- Image de pratiquants du wotagei
Notes
(1) Le terme otagei signifie littéralement « art otaku ». Le « gei » signifie « art » et « ota » est une abbréviation du mot « otaku ».
(2) Les mots « otagei » et « wotagei » sont souvent mélangés et le terme de « wotagei » est régulièrement utilisé pour désigner ce qui se classerait plutôt sous la dénomination « otagei ». En raison de ces malentendus, de nombreux Japonais ont une mauvaise image du wotagei, sans comprendre réellement de quoi cela retourne. Des Japonais eux-mêmes (ne faisant pas partie du milieu du wotagei) écrivent des articles pour déclarer qu’il n’y a pas de différence entre otagei et wotagei. Les personnes pratiquant le wotagei, quant à elles, affirment clairement qu’il y a bel et bien une différence.
(3) Les cyalumes diffèrent les uns des autres en puissance de lumière, en longueur et en couleur.
(4) D’où le nom du groupe de Hokkaido : Kita no Uchishitachi, autrement dit « les uchishi du nord ».
(5) Il semble que l’événement Tokyo Romance Park soit organisé par le groupe de wotagei Ginyu forcE. Son site internet se trouve ici.
(6) Il y a dorénavant des lycéens (et peut-être des collégiens) qui montent des clubs de wotagei au sein de leur école, comme peuvent le montrer ces deux vidéos : vidéo 1 et vidéo 2. Les applaudissements et les engouements à la fin des vidéos sont loin d’être fins. Malheureusement, comme la frontière est fine entre otagei et wotagei, beaucoup de gens ont tendance à penser que les pratiquants du wotagei sont « dégoûtants » (気持ち悪い). Une fois qu’ils ont vu une représentation, en revanche, les pratiquants du wotagei deviennent cools à leurs yeux.
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