[Trad. interview] Inio Asano : « J’ai l’impression que je considérais le lecteur comme un ennemi »
Traduction d’une très longue interview d’Inio Asano (Bonne Nuit Punpun, Solanin, Dead Dead Demon’s…) en cinq parties par Daisuke Yoshida pour le site cakes.mu.
Parfaite lecture complémentaire à Bonne Nuit Punpun (Kana), cette entrevue révèle de nombreux secrets de fabrications et autres anecdotes qui viennent enrichir la compréhension du récit et permettent de mieux cerner les intentions de l’auteur avec cette œuvre mais également ses autres mangas.
La lecture de cette interview a personnellement changé ma façon de voir certains passages du manga (notamment la toute fin) en plus d’avoir mis en lumière le sens de certains personnages tel que Pégasus dont les motivations et agissements peuvent laisser perplexe.
Si vous avez aimé Punpun ainsi que les autres œuvres d’Inio Asano, je ne peux que vous conseiller de vous lancer dans la lecture de long entretien dans lequel l’auteur dévoile toute son intimité et son rapport à ses personnages.
Cette interview spoil toute l’intrigue de Bonne Nuit Punpun et a un réel intérêt seulement si vous avez lu ce manga jusqu’à sa fin. Si ce n’est pas fait, allez le lire c’est une de nos meilleures recommandations !
Félicitations pour avoir terminé Bonne Nuit Punpun, comment vous sentez-vous ?
Inio Asano : Ça fait du bien que ce soit enfin terminé.
C’est votre plus longue œuvre à ce jour, un enfant aurait pu entrer au collège et avoir son bac le temps que ça se termine.
Inio Asano : Cela m’a pris presque sept ans. J’avais les grandes lignes de Bonne Nuit Punpun depuis le début et cela fait des années que je savais comment ça se terminerait, c’est pourquoi j’ai l’impression que c’était déjà terminé depuis longtemps. Mais je ne pouvais pas me laisser aller, j’avais le sentiment que je le regretterais si je ne finissais pas tout ce que j’avais prévu de faire. J’ai donc persévéré et, au final, il est deux fois plus long que ce qui était prévu à la base (7 tomes). C’est pourquoi j’ai vraiment l’impression de l’avoir enfin terminé.
Je vous ai interviewé lorsque le volume 3 est sorti et vous disiez que vous avez créé l’histoire principale du manga en 30 minutes environ. Quelle était l’histoire que vous imaginiez à ce moment ?
Inio Asano : Lorsque le premier chapitre était terminé, j’avais prévu de raconter l’histoire de ce garçon nommé Punpun pendant qu’il grandit, narrant environ 10 ans de sa vie.
Je vois.
Inio Asano : L’héroïne était Aiko et c’était un manga romantique ou bien un manga d’amour. Au niveau de la structure de l’histoire, il y a un « incident » au milieu de l’histoire qui entraîne la fuite de Punpun et Aiko. La seconde partie de l’histoire devait alors ressembler à un road trip.
L’atmosphère légère de l’école primaire était ainsi destinée à être bafouée depuis le départ n’est-ce pas.
Inio Asano : J’avais décidé depuis le début qu’un « incident » se produirait plus tard et, me demandant comment le rendre le plus choquant et marquant possible, j’ai décidé de prendre mon temps pour représenter leur jeunesse insouciante. J’ai essayé de représenter ce passage à l’école primaire d’une façon facile à comprendre et qui fait appel à la nostalgie de chacun.
Est-ce le même raisonnement qui se cache derrière le premier amour de Punpun et d’Aiko ?
Inio Asano : Après tout, j’ai commencé par un développement des plus simples : un coup de foudre pour une étudiante en transfert. Dans l’Histoire du manga, il y a presque un format de comment vous êtes supposés créer un manga. Cette œuvre était en quelque sorte ma tentative de voir jusqu’à quel point je pouvais détruire cela. C’est pourquoi j’ai commencé avec les bases d’une comédie romantique pour ensuite voir le niveau de chaos que je pourrais faire émerger de cette base.
A la sortie du lycée, Punpun fait la rencontre de l’apprentie mangaka Sachi Nanjo. Est-ce que cette apparition était prévue depuis le début ?
Inio Asano : J’avais prévu dès le début d’inclure un triangle amoureux entre Punpun, Aiko puis Sachi qui les rejoindrait. Dans le premier tome, lorsque Punpun Papa regarde dans le télescope et évoque un « grand triangle », ce passage était destiné à me rappeler que Bonne Nuit Punpun parle d’un triangle amoureux lorsque je relirai ce moment.
Un tel présage était présent dès le premier tome !
Inio Asano : Vega dans la constellation de la Lyre est Orihime et Altair dans la constellation de l’Aquila est Hikoboshi. Si l’on y ajoute Deneb de Cygnus cela devient le grand triangle de l’été. Punpun et Aiko, soit Hikoboshi et Orihime, sont rejoints par Sachi pour former un triangle amoureux.
La raison pour laquelle Punpun a des cornes à partir du tome 11 n’est pas parce qu’il est un démon mais parce qu’Hikoboshi est aussi appelé « Kengyuusei », ce qui renvoie à l’image d’une vache. (牽牛星 soit Kengyuusei contient le kanji de la vache : 牛)
Ainsi, pourquoi est-ce que Punpun se transforme en pyramide ?
Inio Asano : En plus d’être le polyèdre régulier le plus simple, si vous le réduisez à sa forme minimale, il devient un tétraèdre. Je me suis demandé quelle était la forme géométrique la plus simple.
Il s’est aussi transformé en Hyottoko lorsqu’il plaisantait…
Inio Asano : Il n’y a pas de signification profonde à cela (rires). C’est juste que j’aime les ornements japonais et que je voulais donc les dessiner. Un peu comme une mosaïque, il y a un mélange d’événements avec du sens et d’autres qui en sont dénués.
En résumé, la première moitié du récit amène le lecteur à s’impliquer émotionnellement avec le personnage principal, Punpun, au travers de passages qui vont faire écho aux souvenirs de sa propre vie. Tandis qu’ensuite, le lecteur arrive au milieu d’une histoire qu’il n’a jamais vécue auparavant : tuer quelqu’un pour la personne que l’on aime. A quel moment de la conception du récit aviez-vous décidé que « l’incident » de l’histoire serait un meurtre ?
Inio Asano : Environ au début du volume 3, quand Punpun entre au collège. J’avais décidé que l’incident serait Punpun, alors âgé d’une vingtaine d’année, qui tue quelqu’un avant que lui-même et Aiko ne prennent la fuite ensemble. C’était également à la même période que j’ai décidé que Harumin, l’ami d’enfance du primaire, apparaîtrait dans le dernier chapitre.
Le jeune garçon qui déménage à la fin de l’école primaire rencontre Punpun à nouveau, maintenant que chacun a grandi, dans le dernier chapitre.
Inio Asano : L’histoire a été écrite au travers des yeux de Punpun donc le lecteur connaît exactement quel type de vie il a mené mais un étranger le regardant n’en aurait aucune idée n’est-ce pas ? Harumin étant une personne décemment respectable ainsi que le personnage le plus normal du manga, j’ai pensé que cela serait intéressant de le faire revenir pour contraster avec Punpun.
La scène que voit Harumin dans le dernier chapitre est Punpun entouré par ses amis. En regardant seulement ce cadre-là, cela semble être une fin heureuse.
Inio Asano : Exactement. Mais en réalité, pour Punpun, rien n’est jamais allé dans son sens pendant toute sa vie, pas même une seule fois.
C’est vrai.
Inio Asano : Après qu’Aiko soit morte, ce que Punpun voulait vraiment faire était de vivre une vie solitaire et la porter dans son cœur à tout jamais mais il se fait embarquer par Sachi et tout s’embrouille à ce sujet. Punpun est brisé à ce stade. Lorsqu’il parle avec Aiko dans son rêve (chapitre 145), il dit qu’il voudrait juste disparaître des souvenirs de tout le monde mais même ce vœu ne lui est pas exaucé.
La phrase « Bonne nuit Punpun » revient plusieurs fois au cours du manga mais à la fin, quand Punpun marmonne de lui-même « bonne nuit », il se fait interrompre par Sachi. On pourrait dire que c’est l’histoire de quelqu’un qui choisit de dormir éternellement mais finit par constamment se faire réveiller.
Inio Asano : C’est vrai. Aussi, je ne l’ai peut-être pas rendu si évident mais Sachi écrit la vie de Punpun en manga. Elle va déterrer la vie de Punpun, laquelle il souhaite que tout le monde oublie, et va la transformer en quelque chose de permanent, un manga.
Au vu de la personnalité de Punpun, cela doit être un enfer pour lui.
Inio Asano : Jusqu’à la fin, je n’étais pas certain de comment serait le dernier chapitre. Parmi les possibilités que j’ai considérées, j’en ai pensé une où Punpun mourrait.
Comment ?
Inio Asano : Le fils de Sachi tombe d’une plateforme de train, Punpun descend pour le sauver et meurt à sa place. C’est une manière très propre de finir. Mais je n’étais pas sûr de vouloir finir sur une note si propre.
Que voulez-vous dire par « propre » ?
Inio Asano : Ce serait une fin trop convenue pour l’histoire. Tout s’imbriquerait un peu trop bien. Vous savez, vivre est plus dur que mourir. C’est pourquoi j’ai pensé que c’était la fin la plus misérable et la plus désagréable possible pour Punpun et qu’au final j’ai décidé que le dernier chapitre se déroulerait ainsi.
Vous dites donc que la fin la plus misérable est la vraie fin de ce manga.
Inio Asano : Oui. Mais il y a également des lecteurs qui disent que c’est une fin heureuse. Cela reste de la fiction après tout, donc ça me va bien que des gens la jugent en fonction de leurs propres valeurs. Ce serait en fait bien ennuyeux si tout le monde avait le même avis dessus. La façon dont les lecteurs étaient divisés au sujet du chapitre était exactement ce qui a rendu intéressant le fait de lire leurs avis.
La caractéristique la plus frappante de Bonne Nuit Punpun est l’apparence du protagoniste sous forme de sablé pigeon (biscuit japonais populaire). Mais tandis que Punpun nous apparaît comme un biscuit, tous les autres personnages le voient comme s’il avait une apparence humaine. Avez-vous dessiné le vrai visage de Punpun ?
Inio Asano : Non je ne l’ai pas fait. Je pensais que tout le monde pourrait l’imaginer à sa façon donc je me suis dit qu’il n’était pas nécessaire de le dessiner. Ainsi je n’ai même jamais imaginé le vrai visage de Punpun.
Quand le tome 10 est sorti, j’ai pu écrire une petite analyse à son sujet dans laquelle je disais : « Le fait que son visage ne ressemble à personne d’autre permet aux lecteurs de pouvoir s’identifier à lui et d’imaginer librement ses expressions faciales. J’ai donc d’abord pensé que tel était l’objectif derrière sa représentation picturale. Néanmoins, après le passage du meurtre, j’ai réalisé que sa représentation nous permettait de confronter ses mots et ses actions directement, sans détourner le regard. Cela s’applique au lecteur mais également à l’auteur qui a pu dépeindre certaines scènes grâce à cette représentation. » Qu’en pensez-vous ?
Inio Asano : En effet, si le visage de Punpun avait été dessiné normalement, je pense qu’il y aurait eu de nombreuses scènes que je n’aurais pas pu dessiner. Par exemple, je suppose que je pourrais dessiner le visage de quelqu’un commettant un meurtre mais je ne pense pas que c’est le genre de manga que les gens souhaiteraient lire. L’objectif est que les lecteurs puissent lire cette scène et continuent à lire ensuite. C’est pourquoi je pense que le visage de Punpun est important et a facilité ce type de passages.
Vous avez mentionné que vous avez décidé qu’il tuerait quelqu’un lorsque vous en étiez environ au tome 3. Quand vous lui avez attribué cette représentation graphique, est-ce que vous saviez instinctivement que cela vous serait utile pour cette future scène ?
Inio Asano : Peut-être que je le savais. J’ai toujours su que l’histoire deviendrait sombre de toute façon. Après avoir terminé Solanin mon éditeur commençait à me demander quel genre de manga je dessinerais ensuite. Je lui ai toujours répondu que j’en avais fini avec les histoires « feel-good ».
Solanin fut un grand succès, il a même été adapté en film.
Inio Asano : Pour être franc, je ne pense pas que Solanin était vraiment une histoire si heureuse. Le livre trahit en quelque sorte le lecteur car il se termine sur une bonne note, mais même ça je ne souhaite plus le faire. Afin que les lecteurs puissent tout de même s’intéresser à l’œuvre, j’ai réalisé que je devais au moins donner un attrait particulier aux personnages.
On pourrait presque dire que la représentation en sablé pigeon du protagoniste est un gimmick pour attirer les gens vers l’œuvre.
Inio Asano : Je voulais que les lecteurs s’intéressent au livre parce qu’ils trouvaient Punpun mignon afin que je puisse les contrarier ensuite (rires). Je voulais leur dire « Voici un autre type de manga. Observez quel degré de profondeur et de retranscription de la réalité un manga peut atteindre ».
On entend souvent parler de mangaka qui tombent amoureux du médium parce qu’ils s’exaltent de pouvoir dessiner des choses qu’ils n’ont jamais pu dessiner auparavant. Ici, vous avez pu dessiner un meurtre. Est-ce que vous vouliez vous challenger ainsi : représenter un meurtre de façon frontale et détaillée ?
Inio Asano : Cela va paraître étrange mais je suis vraiment attiré par le concept de meurtre. Je ne l’expérimenterai probablement jamais dans ma vie mais il doit y avoir une partie enfouie de moi qui a cette terrible envie. Ainsi une partie de ce que je voulais faire était de représenter ce meurtre aussi violemment que possible pour que le lecteur puisse en faire l’expérience la plus réaliste possible. Je voulais un meurtre de type « ça pourrait arriver ».
C’est-à-dire ?
Inio Asano : Je voulais faire un meurtre qui, parfois, a juste besoin d’arriver. Ce n’est pas tuer par pure haine, pour une vengeance, du sport ou en dehors de tous principes. Parfois les gens tuent à cause de circonstances vraiment spontanées.
Donc, par « meurtre qui pourrait arriver », vous voulez dire quelque chose qui pourrait être fait par n’importe qui, pas seulement des psychopathes. C’est effectivement un des messages forts de Bonne nuit Punpun.
Inio Asano : Oui c’est exact. Cela fait longtemps que je suis terrifié à l’idée que je puisse être tué par quelqu’un ou même devenir un tueur moi-même. Punpun est arrivé au moment où j’ai décidé de poser en manga ce qui arriverait si cette peur devenait réelle.
Est-ce que votre peur est toujours la même maintenant que vous avez réalisé ce manga ?
Inio Asano : Elle ne pourra jamais être complètement effacée je pense mais, pendant que je faisais ce manga, j’ai senti que j’arrivais à la mettre derrière moi, petit à petit.
Je vois.
Inio Asano : Une de mes raisons de faire des mangas est de pouvoir résoudre mes propres doutes et peurs personnelles. Si vous comparez le moi qui a commencé Punpun à celui que je suis maintenant, je suis bien mieux désormais. Une grande partie d’irritation et de peur que je ressentais avant est partie et je pense que c’est le fait de créer des mangas qui a pu permettre cela.
Comment était la réception face à la scène de meurtre de Punpun ?
Inio Asano : Avant de faire cette scène, j’avais peur que les gens commenceraient à catégoriser le manga comme un « manga déprimant » (utsumanga). C’est un nouveau terme que les gens utilisent maintenant et je me suis dit que ce serait plutôt dangereux d’avoir des gens labelliser le manga comme ça. J’ai vraiment détesté le fait d’avoir été mis dans cette catégorie. Mais même lorsque la réputation de Bonne Nuit Punpun comme œuvre déprimante a commencé à grandir, les gens ont juste lu et apprécié le manga en tant que tel. Le « manga déprimant » est en train d’être accepté comme une autre forme de divertissement. Je pense que désormais, le choc du protagoniste qui commet un meurtre est moins impactant.
Je parie que les gens étaient trop effrayés pour pouvoir apprécier tout le chaos du manga. C’est pourquoi ils l’ont labellisé comme « manga déprimant » afin de pouvoir coller une étiquette dessus.
Inio Asano : Je pense que c’est une mauvaise habitude qu’ont pris les jeunes aujourd’hui, attribuer des noms aux choses afin de les associer à un genre. Ça les conditionne à lire de façon très fermée d’esprit en étant cantonné à une vision unique des choses. Un autre mot que j’entends souvent est « surréaliste », qui englobe à peu près tout. J’ai l’impression qu’ils passent à côté de beaucoup de choses en raisonnant de cette façon.
C’est vrai. Si les gens arrêtaient de tout catégoriser et commençaient à accepter et analyser leurs sentiments complexes à l’égard de chaque œuvre, dans toutes leurs ambiguïtés, nous pourrions assister à une alchimie intéressante.
Inio Asano : Mais… J’ai relu toute la série il y a environ un mois.
Et qu’en avez-vous pensé ?
Inio Asano : Il y a de si nombreux passages qui m’ont amené à penser « évidemment que pas tout le monde va dire qu’ils apprécient lire ça » (rires) Puis il y a les trucs que Punpun dit – ça n’a aucun sens. Cela m’a fait réaliser à quel point ce manga est tordu.
Après avoir relu la série, j’en ai conclu qu’il en dégage une vision du monde très fondamentaliste, parfaitement illustrée par la promesse entre Punpun et Aiko.
Inio Asano : En effet.
Les choses que vous avez pu dire dans le passé ne peuvent pas être effacées et le manga est très strict au sujet de si vous êtes à la hauteur de ces paroles ou non. Evidemment, si on devait respecter chacune de nos paroles, nous deviendrions fous. Chaque mot prononcé deviendrait alors une malédiction.
Inio Asano : En effet. Au début, Punpun est très pur et honnête, et il prend les choses trop à cœur. Il pense qu’il doit respecter absolument tout ce qu’il a dit qu’il ferait. Il n’y a pas d’entre deux pour lui. C’est comme ça que j’étais lorsque j’ai commencé Bonne Nuit Punpun.
Il reste attaché à ce regret de ne pas avoir pu tenir sa promesse, indépendamment de s’il était vraiment capable de la tenir ou non, et ça devient de pire en pire.
Inio Asano : C’est quelque chose que je pense être prêt à aborder désormais : comment les mangaka eux-mêmes deviennent vraiment liés aux choses qu’ils mettent dans leurs mangas. Il y a ce passage dans le premier chapitre de Solanin sur le fait que les adultes passent leur temps à se dire « après tout, peu importe ».
Ce que dit Aoi Miyazaki (actrice interprétant Meiko, le personnage principal) au début du film.
Inio Asano : Solanin est une histoire qui raconte le fait de rejeter ça. Comment les adultes qui errent juste en se disant « peu importe » sont des losers. Et parce que je suis celui qui affirme ça, je ne pourrais jamais me laisser aller en disant que de toute façon, peu importe. Je l’ai écrit et maintenant je dois être à la hauteur. Je ne peux pas juste me dire que c’est juste quelque chose que j’ai dit il y a longtemps juste comme ça.
Exactement comme Punpun !
Inio Asano : Oui. C’est l’état d’esprit dans lequel j’étais quand j’ai commencé Punpun et c’est pourquoi le personnage de Punpun est devenu pareillement intolérable envers toute zone grise et c’est également pourquoi je me suis forcé à rester focalisé sur ce manga jusqu’à la fin.
Est-ce que la malédiction a été levée maintenant que le manga est terminé ?
Inio Asano : Oui c’est le cas… Enfin c’est ce que j’ai envie de dire (rires). Ma prochaine série sera un manga qui me permettra d’être plus détendu et désordonné. On pourrait dire que Solanin m’a permis de faire Punpun et que Punpun m’a permis de faire ce prochain manga.
Qu’est-ce qui vous a amené à changer votre projet de faire Bonne Nuit Punpun en 13 tomes au lieu des 7 prévus initialement ?
Inio Asano : Une des raisons est que je voulais être certain de dessiner chaque scène minutieusement. Mais la raison principale est que toutes sortes de personnages non-prévus ont continués d’apparaître et les différentes histoires ont pris de l’importance à cause d’eux.
Est-ce que vous pourriez donner un exemple d’un personnage qui n’était pas prévu ?
Inio Asano : Yuichi (l’oncle de Punpun) apparaît dans le premier chapitre mais je ne pensais pas que je finirais par dédier un tome entier à développer son passé. Aussi, je ne pensais pas non plus utiliser Dieu aussi souvent, j’ai juste commencé à l’utiliser car je trouvais ça amusant.
Vous les mettez pour rigoler et vous finissez par vous obliger à les développer.
Inio Asano : C’est toujours comme ça (rires). Seki et Shimizu, l’étrange Pégasus qui apparaît au milieu de l’histoire, tous les personnages qui sont sortis de nulle part.
« L’ensemble musical Pégasus », dirigé par Toshiki Hoshikawa, également connu sous le nom de « Pégasus » est présenté dans la seconde moitié de l’histoire au cours d’un tome inhabituellement grand. Quel était l’objectif derrière leur apparition ?
Inio Asano : J’étais certain que personne ne comprendrait cette partie (rires). Pégasus est apparu au milieu du volume 7 et c’était le moment de l’histoire où il ne passait pas grand-chose. Punpun venait de terminer le lycée et a commencé à vivre seul. Dans son petit appartement, Punpun était à l’agonie. C’était un passage que je voulais vraiment représenter mais ne pouvant pas dessiner uniquement ça sur plusieurs chapitres, j’ai décidé d’ajouter une autre histoire en parallèle.
Je vois.
Inio Asano : J’ai donc pensé à essayer d’incorporer une autre facette de l’histoire en utilisant le personnage de Pégasus que j’avais déjà mentionné auparavant. Tout comme l’histoire de Punpun et d’Aiko est un hommage aux comédies romantiques, l’ensemble musical Pégasus est en fait un hommage aux shonen mangas. Je pense que personne ne l’a compris mais Pégasus a rassemblé ses amis et ils se sont vraiment battus contre un être maléfique.
Vraiment ?!
Inio Asano : A l’insu de Punpun, des super-héros se battaient à mort contre les forces du mal. Vous vous souvenez de cette figurine de Daruma qui sort de nulle part dans le dernier volume ? Et bien c’était ça en quelque sorte (rires).
J’avais absolument aucune idée de ce qui pouvait se passer.
Inio Asano : S’il n’y avait pas eu Pégasus et sa troupe, une météorite se serait écrasée sur la Terre et aurait conduit l’humanité à sa perte, exactement comme Punpun et Aiko le voulaient. L’équipe de Pégasus se sacrifie en sauvant le monde, sans que personne ne le sache. C’était ça le concept.
C’est sans doute la nouvelle la plus choquante de la journée.
Inio Asano : Il y a tout ça et également le fait que je voulais utiliser Pégasus comme un vecteur des paroles que je ne pouvais pas faire dire à Punpun en raison de sa personnalité. Par exemple, lors de la retransmission des élections du gouverneur de Tokyo, Pégasus parle du fait que le monde a fini son évolution et c’est juste après le tremblement de terre de Tohoku que j’ai écrit ce passage.
Tome 9, chapitre 92. Un chapitre presque entier dans lequel Pégasus fait sa campagne électorale à la télé, dans laquelle il dit « Les sciences, les religions, les civilisations viennent d’atteindre leur apogée. Autrement dit, le monde a fini son évolution. »
Inio Asano : Après ce désastre, de nombreuses personnes se plaignaient mais ce que je pensais à ce moment était « Nous sommes à peu de choses près dans le meilleur monde qui pourrait exister ! ». Je suppose que c’était ma façon de décompresser mais afin de continuer Bonne Nuit Punpun, Pégasus était un personnage terriblement important.
Vous avez dit que les personnages secondaires et leurs dramas ont continué à prendre de l’importance au fur et à mesure que la série continuait. Mais je pense, qu’à la base, ils prennent tous racine au même endroit que la relation entre Punpun et Aiko. Chacune de ces histoires est une variation du conflit central sur la croyance et l’incrédulité, et sur les promesses.
Inio Asano : C’est vrai. Les personnages principaux dans Bonne Nuit Punpun restent des enfants dans le sens où leur pureté les amène à échouer et à devenir des parias. Aiko, Punpun, Pégasus, Seki, Shimizu… tous. Pégasus, particulièrement, est pur. Il prône l’humanitaire à un tel extrême qu’il croit en tout le monde. De son côté, Punpun est complètement l’inverse, croyant uniquement en Aiko. En ce sens, ce sont des représentations opposées. Je considère que Pégasus est l’autre personnage principal de ce manga (rires). Le problème est que ce personnage est un peu trop unique, donc personne ne l’a abordé sérieusement.
Vous avez un poil exagéré avec son design (rires).
Inio Asano : Mais c’est exactement parce qu’il a cette apparence et qu’il agit de la sorte que j’aime ce personnage. Et il y a de nombreuses lignes de dialogue que seul Pégasus auraient pu dire. Il dit tout un tas de choses comme le fait que la Terre va devenir plus belle et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de personnages qui auraient pu tenir ce genre de discours de façon convaincante.
Faire dire des choses cool à un personnage cool serait…
Inio Asano : Embarrassant (rires). Je ne sais pas faire de personnage cool. Punpun n’est certainement pas cool.
Il est littéralement l’inverse de cool.
Inio Asano : C’est ce que j’avais en tête lorsque je l’ai réalisé. Je n’ai pas écrit ce manga en pensant que les actions de Punpun étaient justes, j’ai toujours pensé qu’il était dans le faux. Mais, dans la majorité des mangas qui ont un certain succès commercial, les gens sont émus par le personnage principal, par son honnêteté et par les efforts qu’il fait. Si vous vous habituez à ce genre de mangas, vous allez commencer à considérer les protagonistes comme des modèles à suivre. En revanche, cette idéalisation n’est pas caractéristique des Seinen mangas.
Donc vous souhaitez dessiner quelque chose avec des valeurs différentes de celles qu’on peut retrouver dans les Shonen mangas.
Inio Asano : Je pense que les Seinen manga sont pour les lecteurs et auteurs qui sont assez matures pour accepter l’immoralité. Bonne Nuit Punpun a entièrement été réalisé dans cette optique.
Bonne Nuit Punpun était publié dans le magazine Young Sunday au début mais, lorsque le magazine a arrêté d’être publié, le manga est passé dans Big Comic Spirits, c’est exact ?
Inio Asano : Je pense que Young Sunday et Big Comic Spirits ont tous deux une sorte d’ambiance de « fun malaisant ». Des salaryman disant des trucs vulgaires, ce genre de choses. L’époque peut être assez stricte sur le caractère malsain des œuvres maintenant, mais c’est ce que j’ai toujours aimé, donc j’ai l’intention de tenir bon en faisant tout ce que je peux pour préserver cette ambiance et continuer à faire les choses que j’aime.
Comment tenir bon ?
Inio Asano : Je dois m’assurer qu’on ne perde pas Big Comic Spirits. J’étais encore un jeune artiste quand Young Sunday s’est arrêté donc je n’ai pas vraiment réfléchi à ce sujet à l’époque mais, maintenant que je comprends mieux les circonstances, je ressens le danger auquel un magazine de manga fait face.
Vous avez fait l’expérience douloureuse de la disparition d’un magazine lorsque vous étiez au milieu d’une série après tout.
Inio Asano : Il y a plusieurs types de Seinen magazines sur le marché, par exemple il y a ceux de Kadokawa et de Square Enix qui, je pense, sont faits par des passionnés de mangas pour des passionnés. C’est un type de divertissement spécialisé. D’un autre côté, les Seinen magazines plus traditionnels traitent de sujets de société donc vous n’avez pas besoin d’être passionné pour les apprécier. J’apprécie beaucoup les mangas publiés par Shogakukan.
C’est pourquoi vous voulez que vos mangas continuent d’y figurer.
Inio Asano : J’ai brièvement considéré à faire mon prochain manga ailleurs que dans Big Comic Spirits, mais être publié dans ce magazine était mon objectif lorsque j’ai commencé à travailler en tant que mangaka donc si les éditeurs de Spirits me demandent de travailler pour eux, je le ferais. Je veux aussi m’assurer que nous ne perdons pas le magazine.
Pendant que vous travailliez sur Punpun, vous avez également sorti un manga appelé « La fille de la plage » (IMHO) qui est également une histoire au sujet d’un premier amour.
Inio Asano : Au début, j’avais l’intention d’en faire une histoire d’amour très innocente au sujet d’un couple d’enfants dans le début de leur adolescence mais, pendant que je commençais à faire le brouillon, je n’arrivais pas à maîtriser l’histoire. Alors j’ai décidé d’en faire une histoire d’amour à l’envers.
(Que vous soyez déjà familier ou non avec l’œuvre, vous pouvez découvrir notre critique de La fille de la plage)
En commençant par le sexe et en finissant par la reconnaissance de sentiments amoureux.
Inio Asano : Je tiens aussi à dire qu’Isobe, un des protagonistes, est un personnage que j’ai écrit après avoir appris le terme chunbiyo (terme utilisé pour décrire de jeunes adolescents rencontrant de grandes désillusions). Je suis un adulte maintenant donc je trouve juste ça attendrissant quand les jeunes garçons se comportent comme ça. Je le vois avec le regard d’un parent. J’ai essayé de dépeindre cette fausse maturité attendrissante d’un point de vue légèrement distant.
J’ai l’impression que La fille de la plage est un autre essai de Bonne Nuit Punpun et de son thème de l’amour de jeunesse. Est-ce que, par hasard, vous auriez un traumatisme de votre premier amour ?
Inio Asano : Je suis effectivement tombé amoureux d’une fille qui venait d’être transférée dans mon école primaire, mais elle n’a pas vraiment laissé de trauma en moi, donc elle n’était pas une Aiko. En revanche, la fille avec qui j’étais avant ma femme, était peut-être une Aiko. J’étais avec elle lorsque j’écrivais Solanin. Je pensais qu’elle était sans défense et que c’était à moi de la sauver mais en réalité, elle n’avait pas du tout besoin de moi.
Que voulez-vous dire ?
Inio Asano : J’étais convaincu qu’elle était perdue sans moi mais il se trouve qu’elle était étonnamment responsable après tout. Donc après qu’on se soit séparés, elle a commencé à travailler comme une personne normale. Quand j’ai vu qu’elle n’avait en fait pas besoin de moi, j’ai réalisé que c’était en fait moi qui me reposais sur elle et je me suis senti honteux.
Ah oui.
Inio Asano : Je pense que je voulais qu’elle soit dans une posture malheureuse, comme Aiko, afin que je puisse la sauver.
Et les choses sont devenues plutôt sombres lorsque vous avez transposé ce désir dans votre manga.
Inio Asano : C’est le cas en effet. Un de mes regrets au sujet de Bonne Nuit Punpun c’est comment j’ai aliéné tellement de mes lecteurs. A chaque tournant sombre de l’histoire, les ventes chutaient. La première scène brutale apparaît lors du flashback de l’oncle Yuichi, et les ventes ont pris un sacré coup ici. Et lorsque Punpun tue quelqu’un, les ventes chutent à nouveau. J’ai vraiment travaillé dur pour que cette histoire arrive à sa fin donc je souhaite que les gens essaient de la lire jusqu’au bout. Elle ne vous laissera probablement pas dans un bon mood mais bon (rires).
C’est intéressant de relever que vous travailliez sur Ozanari-kun, un manga humoristique, en même temps.
Inio Asano : Ozanari-kun est mon manga qui s’est le moins bien vendu mais je considère que c’est de loin mon manga le plus complet. Je ne peux imaginer quelque chose de plus fun à réaliser.
Je ne m’attendais pas à ça au sujet d’Ozanari-kun ! (rires). C’est votre première œuvre qui contient un amour gay.
Inio Asano : C’est juste arrivé comme ça (rires). Je voulais le structurer de façon que la première moitié est un manga humoristique surréaliste et puis, comme sorti de nulle part, cela devient quelque chose avec une histoire. Dans Bonne Nuit Punpun, la seule iconographie que j’utilisais était pour le design de Punpun mais dans Ozanari-kun, j’ai appliqué un jeu d’icônes pour tout le manga et cela m‘a fait réaliser à quel point cela pouvait être fun et facile à lire.
C’est vrai, Ozanari-kun est votre manga qui ressemble le plus à un manga.
Inio Asano : J’ai l’intention d’utiliser pleinement ces éléments dans mes prochaines séries. Mon style graphique va vraiment changer avec ma prochaine œuvre, je ne vais plus m’efforcer de constamment chercher à rendre les choses réalistes. Vous verrez plus d’éléments propres au manga dans mon style graphique.
En dehors du personnage principal, vous avez opté pour un réaliste particulièrement pointu dans Bonne Nuit Punpun. Qu’on retrouve notamment dans l’incendie lors de la fin du manga.
Inio Asano : Le feu était particulièrement dur à réaliser. Lorsque je dessine quelque chose que je n’ai jamais fait auparavant, je ne peux pas l’expliquer à mes assistants vu que je ne l’ai moi-même jamais réalisé donc j’ai terminé par faire la scène de l’incendie presque entièrement moi-même. J’apprécie sincèrement le fait de travailler sur l’amélioration de ma technique car je peux voir les choses s’améliorer mais le travail de background de Punpun est devenu une routine car je pouvais voir le résultat final à l’instant où j’avais une photo qui sera utilisée pour le tracé. Ce n’est pas vraiment amusant de dessiner une photo pour laquelle vous êtes déjà capable de visualiser le rendu final et j’ai commencé à penser que je gâchais ces photos que je refaisais au crayon en les traitant numériquement. J’ai vraiment détesté ça. Mais, par souci de cohérence, j’ai gardé la même méthode tout au long de la série. Ma prochaine œuvre sera assez différente.
Une autre chose que je voulais vraiment vous demander est au sujet du grand tremblement de terre qui s’est produit pendant que vous publiez votre série. Est-ce que cela a affecté votre manga d’une façon ou d’une autre ?
Inio Asano : C’est arrivé lorsque j’étais environ au milieu du tome 9. Je me suis demandé si oui ou non j’allais l’incorporer dans le manga et honnêtement j’aurais très bien pu ne pas le faire mais j’ai fini par l’ajouter quand même. La raison pour laquelle je l’ai fait n’est pas à cause du désastre en lui-même mais parce que je devais absolument inclure l’élection du gouverneur car je voulais donner à Pégasus cette opportunité de briller. Et j’avais décidé que cela se terminerait en 2011 donc en raison de ces circonstances, c’était au final naturel que j’inclus le fait que le tremblement de terre eut lieu.
Comment avez-vous appréhendé le tremblement de terre en tant que mangaka ?
Inio Asano : Je me suis rendu compte que le séisme a révélé au grand jour les mœurs que les gens cachent normalement. Je n’utilisais pas Twitter à l’époque donc j’étais totalement silencieux car je n’avais aucun outil pour m’exprimer, mais j’ai suivi ce que tout le monde faisait et disait, et c’était vraiment affreux de voir les gens s’en prendre aux autres et de se montrer si moralisateurs à ce sujet.
Je vois.
Inio Asano : Peut-être que ça ne peut qu’empirer avec l’accident de la centrale nucléaire et puis, je monte tout le temps sur mes grands chevaux dans mes mangas même lorsqu’il n’y a pas de calamité pour s’indigner donc je ne suis pas vraiment bien placé pour parler. Mais, après ça, j’ai décidé que je ne voulais plus jamais être moralisateur. C’est de cela que je parle tout le temps avec mon éditeur maintenant, comment faire mon nouveau manga sans être moralisateur.
Que voulez-vous dire par « être moralisateur » ?
Inio Asano : J’ai toujours aimé mettre mes propres pensées et opinions dans mes mangas. Jusqu’à Punpun, tous mes mangas étaient remplis de scènes où je ne faisais que parler de moi, ou encore ces moments où les personnages font des va-et-vient juste pour montrer à quel point mes opinions étaient justes. J’en ai assez avec ça. Je veux juste que mes personnages puissent dire toutes les choses idiotes qu’ils veulent de la manière qu’ils le souhaitent.
Cela sonne comme une complète rupture avec vos œuvres précédentes.
Inio Asano : La vérité est que je déteste vraiment ce genre de choses mais je voulais tellement que les gens comprennent, que je m’énervais seul et je finissais par être moralisateur. Depuis le tremblement de terre, je ne me soucie plus de cela. Je suis devenu capable d’accepter les opinions des autres comme des opinions valables mais j’ai également cessé d’attendre quoi que ce soit de leur part. Je me fiche de sympathiser avec leurs avis ou s’ils sympathisent avec les miens. Raisonner comme ça me soulage bien que je me rende compte que ça fait de moi une personne plutôt froide.
Si vous deviez vous revendiquer un humanitaire comme Pégasus ou bien un individualiste comme Punpun, vous choisiriez ce dernier je présume.
Inio Asano : Je suppose que oui. Tant que je vis en accord avec mes principes, ça me suffit. Je n’ai pas besoin de les faire respecter par les autres. C’est quelque chose que Punpun et moi avons en commun. Le monologue de Punpun à la fin est là où mon raisonnement a abouti après avoir réfléchi à de nombreuses choses après le tremblement de terre. Tout cela pour dire que, oui, je dirais que le séisme a eu un grand impact sur moi.
Votre nouveau manga a enfin commencé. L’histoire prend place dans une ville quelque part, trois ans et deux mois après qu’un OVNI soit arrivé et ait commencé à rôder dans le ciel. Les personnages sont principaux sont deux lycéennes, Ôran et Kadode.
Inio Asano : J’ai réfléchi à quoi faire pour ma prochaine série depuis un ou deux ans avant que Punpun se termine. Ce manga est le résultat d’un ensemble d’idées que j’avais eues et que j’ai assemblées presque comme un puzzle donc c’est assez difficile d’expliquer exactement comment il est devenu ce qu’il est. A l’origine, je voulais faire un manga avec une genre de créature vivant chez le protagoniste, comme Doraemon. Le manga au début du premier chapitre est un vestige de cette idée.
Vous parlez donc d’Isobeyan, avec ses outils secrets qu’il garde dans sa poche quadridimensionnelle. Y a-t-il une chance que ce manga à l’intérieur du manga s’infiltre dans l’histoire principale ?
Inio Asano : C’est possible. L’OVNI au-dessus de la Terre est également probablement venu de l’espace pour une raison ou une autre. Pour m’obliger à faire avancer l’histoire, j’ai préparé de nombreuses choses dans ce genre mais ces choses ne sont pas au centre de l’histoire donc vous ne verrez pas l’histoire se transformer en un pur manga de science-fiction. Mon objectif cette fois est de faire en sorte que les personnages fassent des choses amusantes.
Il y a cet événement vraiment hors du commun qui se passe mais les pages sont surtout remplies d’adolescentes et de leurs conversations maladroites. Il y a quelques monologues mais il y en a vraiment peu en comparaison avec vos œuvres précédentes.
Inio Asano : De la façon dont je l’ai planifié, cela va continuer comme ça. Ce n’est pas comme Bonne Nuit Punpun où j’ai commencé avec un plan dès le début et où j’avais cette intrigue majeure devant moi. Je veux juste que la vie quotidienne de ces personnages continue encore et encore. Une partie de mon inspiration est venue de ma rencontre avec Hikaru Nakamura, l’auteur de « Les Vacances de Jésus et Bouddha »(Kurokawa), il y a quelque temps.
Les Vacances de Jésus et Bouddha, le court manga humoristique au sujet de leurs vies en colocation dans un appartement délabré de Tachikawa, Tokyo.
Inio Asano : Je lui ai demandé pourquoi est-ce qu’elle faisait des mangas et elle m’a répondu que c’est parce qu’elle voulait entrer dans le monde des mangas qu’elle créait. Cela m’a laissé une impression particulière. Je l’enviais d’être capable de penser de cette façon. Elle a ces personnages heureux qui sont de grands amis et, elle a tellement de plaisir à les dessiner qu’elle aimerait même pouvoir les rejoindre ; et puis c’est amusant pour le lecteur donc son manga se vend. Cela me semblait être un travail tellement sain et agréable.
N’est-ce pas littéralement l’inverse de ce que vous faisiez avec Bonne Nuit Punpun ?
Inio Asano : Eh bien… Il va sans dire que je veux que les gens fassent l’éloge de mon travail. Avec Punpun, j’essayais de faire dire aux gens « wow ! » en faisant des choses nouvelles et excitantes avec le manga, et obtenir cette réaction était ma connexion avec le lecteur. Mais en réalité, les lecteurs feront votre éloge tant que vous ferez quelque chose d’amusant à lire. C’est tout ce que je veux. Je veux faire un manga amusant. Quelque chose que les gens peuvent lire de façon décontractée.
La critique envers Punpun a peut-être quelque chose à voir avec cela je suppose.
Inio Asano : J’ai l’impression que je considérais le lecteur comme un ennemi à l’époque où j’écrivais Punpun (rires). Je savais que cela ennuierait certaines personnes et que d’autres commenceraient même à me détester. Mais lorsque j’ai voulu me défendre contre ces critiques et cette haine, j’ai commencé à réfléchir à la façon dont je pourrais ennuyer ces gens et les amener à me détester encore plus.
Un cercle vicieux ! Mais c’est peut-être exactement ce dont avait besoin un manga comme ça. (rires)
Inio Asano : Je n’aurais jamais terminé Punpun si je n’avais pas éprouvé ce plaisir tordu, mais je préfèrerais vraiment ne plus avoir à le faire. Pour ce prochain projet, je vais le focaliser sur les choses positives que les gens veulent voir.
Les choses que les gens veulent voir… Eh bien, les filles que vous dessinez sont vraiment mignonnes. (rires).
Inio Asano : Quelque chose que j’ai réalisé en dessinant Punpun est que je suis peut-être doué pour dessiner de jolies filles, c’est pourquoi j’ai pensé que je focaliserais ma prochaine série là-dessus. C’est très amusant pour moi de dessiner en ce moment ; rien que des filles, à peine un seul personnage masculin (rires). Je donne aussi aux personnage un aspect très rond et, de manière générale, le graphisme est vraiment différent, C’est vraiment amusant pour moi de dessiner des choses que je n’avais jamais dessinées auparavant.
Votre travail jusqu’à maintenant avait toujours ce côté « calme avant la tempête », comme si la fin du monde était tout proche. Avec Dead Dead Demon’s Dededede Destruction, nous sommes entrés en guerre. Avez-vous l’impression d’avoir personnellement franchi une étape ?
Inio Asano : Le thème général des années 2000 ressemblait à de la stagnation mais il est évident qu’à ce stade, nous sommes entrés dans la fin du monde. La fin du monde n’est pas pour bientôt, elle a déjà commencé. La question est de savoir comment vivre à une époque où le monde entier descend tel une spirale, vers le bas, vers le bas.
Peut-être que votre manga peut aider le lecteur à s’endurcir afin qu’il puisse faire face à cette réalité ?
Inio Asano : Hmm… non, je ne pense pas. Jusqu’à maintenant j’ai toujours dit que les mangas pour s’échapper étaient une connerie et que je voulais créer un manga qui a réellement un impact sur la réalité. Mais maintenant tout ce que je demande est que les gens lisent mes mangas pour se divertir.
Ce sujet a été soulevé dans Punpun aussi : Est-ce que le manga doit être une échappatoire de la réalité ou bien une arme destinée à être utilisée dans la réalité ?
Inio Asano : C’est que je vise cette fois c’est la première option, à cent pour cent. La réalité est difficile alors lisez ce manga sur des jolies filles et sentez-vous mieux. J’ai réalisé à quel point c’était important après avoir regardé K-On ! (Kazé) (rires). Des filles qui s’amusent est mignon et ce qui est mignon n’a pas besoin d’explication, c’est ça qui est génial. J’ai décidé que c’était vraiment tout ce dont j’avais besoin.
Mais pour les gens qui connaissent Punpun et qui l’ont lu, tout cela ressemble à une grande préparation : Les faire penser qu’ils lisent une version d’Asano de K-On!, puis au milieu de la série…
Inio Asano : Les personnages de K-On! tuent quelqu’un ou quelque chose oui (rires). Ce serait un choc, même moi je détesterais ça. Mais encore une fois, ma personnalité est toujours la même alors si les gens commencent à dire que c’est un manga amusant et que je devrais le continuer pour toujours, je pourrais toujours faire en sorte que tout s’écroule comme ça (rires). Mais j’ai l’impression que cette fois-ci, je ne ferai pas ce genre de choses si ce n’est pas ce que veulent les lecteurs. C’est là où j’en suis pour le moment, en tout cas.
J’aimerais entendre ce que vous avez à dire à ce sujet lorsque vous en serez au tome 3 (rires).
Inio Asano : Punpun était un manga où je ne pensais pas du tout aux lecteurs du magazine, mais je veux que ce prochain manga soit agréable à lire d’un chapitre à l’autre dans le magazine car je souhaite qu’il se vende. Je dois faire de mon mieux pour aider le magazine à se vendre car, s’il se porte bien financièrement, les éditeurs peuvent avoir une certaine marge de manœuvre et publier des choses peu recommandables comme Punpun. Et puis, j’aimerais avoir le droit de me vanter (rires).
Vous méritez complètement le droit de vous vanter.
Inio Asano : La plus grande différence avec Punpun est l’absence d’une intrigue prédéterminée. J’ai choisi de travailler dessus chapitre par chapitre, en décidant de ce que je vais faire au fur et à mesure. Je ne sais pas non plus combien de temps la série va durer, elle peut être très courte ou bien continuer pour toujours et devenir l’œuvre de ma vie, un peu dans la veine d’un Danchi Tomoo. Ce que je ferai de ce manga dépendra vraiment de l’accueil que lui réserveront les lecteurs. C’est de cette façon que je veux aborder cette nouvelle série.