La fille de la plage
La critique d’un manga a pour but de vous donner envie de vous intéresser à l’œuvre SANS SPOIL pour ne pas vous gâcher le plaisir de lecture.
En bref : Un triangle amoureux pas très sain, des interactions forcément pas très judicieuses : les bouches mentent, mais pas les corps et c’est au travers d’une palette d’expressions contrariées qu’Asano capte, non pas les émotions des gens, mais leur envie de les cacher.
Au fil du temps, Inio Asano s’est fait le chroniqueur d’une jeunesse en perte de repères. Après plusieurs one-shots et autres histoires courtes, c’est avec Bonne nuit Punpun (Kana), série longue s’étalant sur treize tomes, qu’il finira de parachever ses obsessions existentielles.
C’est donc de l’après Bonne Nuit Punpun dont il est question aujourd’hui avec La fille de la plage (IMHO).
La suite d’une série phare est toujours un moment particulier pour un auteur, voyons comment Asano, lui, négocie ce tournant dans sa carrière.
(Vous pouvez découvrir notre traduction d’interview d’Inio Asano dans laquelle il revient sur la genèse de ce projet).
Notons qu’à la place de Kana, son éditeur historique, c’est Imho qui s’est occupé de la diffusion. Or, déjà sous différentes collections connotées pas très grand public chez Kana, nous pouvons en déduire que La fille de la plage est un projet sensible.
Et il l’est assurément. Bien que l’on puisse résumer l’histoire ainsi : « une histoire d’amour », un sujet plutôt galvaudé, c’est par son traitement ainsi que sa maestria graphique et la mise en scène qui l’accompagnent qu’Asano nous interpelle.
Alors, comment savoir si c’est la bonne (histoire) ?
Koume Sato n’a jamais eu de copains, elle kiffe les beaux gosses et malheureusement, Misaki le tombeur du coin, n’en a rien à faire. Après qu’il l’ait pratiquement forcé à faire des « trucs », elle se met à se confier à Kosuke Isobe, un garçon qui semble jouer le rôle de confident.
C’est l’occasion d’un triangle amoureux pas très sain et c’est par les interactions forcément pas très judicieuses qu’entretiennent ses jeunes personnages qu’Asano se démarque.
Ici, pas de candeur ou de bons sentiments. Désenchantée, Sato ne trouve rien de mieux à faire pour gérer ses sentiments que de jouer avec Isobe et c’est là qu’on commence à comprendre pourquoi l’éditeur Kana a refilé la patate chaude.
La première chose qui frappe, ce sont les nombreuses scènes de sexe.
Des scènes de sexe rarement gratuites, car il est question de dévoiler plutôt que de montrer… Zoom, pénétration, réaction, dialogue et plan large qui suggère, un déploiement graphique qui émoustille autant qu’il met mal à l’aise, simplement parce que ça a l’air vrai.
D’ailleurs c’est tout un pan du discours qui va avec : les bouches mentent, mais pas les corps et c’est au travers d’une palette d’expressions contrariées qu’Asano capte, non pas les émotions des gens, mais leur envie de les cacher.
Ces scènes criantes de réalisme sont mises en exergue par l’aspect graphique dans lequel le dessin est un mélange de minutie pour les décors et de sensibilité du trait pour les personnages. On en revient aux fondamentaux du style manga : un dessin rigoureux pour planter un décor crédible et une hyper expressivité des personnages au service de l’émotion.
Le masque comme le carcan social sont lourds, un état de fait observable dès l’introduction qui joue avec son alternance de cases personnages-paysages qui dilate le temps, l’espace, et trahit l’ennui d’un patelin paumé.
À l’école aussi, toujours une tête, une épaule, une main dans le cadre, les regards sont partout autant que l’ombre du jugement des autres.
Inio Asano utilise aussi habilement des plongées et contre-plongées qui viennent représenter le rapport de force dans le couple.
Néanmoins, s’il y a quelque chose de notable depuis Punpun, c’est que même si Asano va toujours plus loin dans ses portraits, ici nous n’avons jamais accès à leurs pensées. Point de vue omniscient mais sans bulles introspectives, le lecteur devient voyeur et, à l’image de ses héros, ne peut qu’imaginer ce que ressent l’autre.
Finissions sur eux justement. Plus la lecture avance, plus on peut entrevoir comment l’auteur a construit ses deux personnages comme deux arcs narratifs opposés.
Mention spéciale à Isobe, personnage lunaire, étrangement lucide sur sa situation, mais victime de lui-même. Jamais un personnage n’aura été tour à tour aussi incisif, charismatique, pathétique et repoussant, une figure humaine complexe comme seules les œuvres de fictions savent les faire.
Reste que La fille de la plage est une niche : c’est beaucoup de sentiments exaltés, de conneries, de gens qui font des mauvais choix, ça va loin et donc ça ne peut que récolter le rejet et l’incompréhension.
Malgré tout il y a des éclaircies, d’autant plus poignantes qu’elles contrastent avec le reste.
Et, dans l’entrelacement des corps, se forme une seule question :
l’amour de l’autre, évidemment. Mais, peut-être, ou plus spécialement, celui que l’on se porte à soi-même.
Larme Ultime (Delcourt) : Le dernier chant d’amour sur cette petite planète de Shin Takahashi.
Comme le suggère son titre, Larme Ultime est une série qui traite d’amour sur un ton mélancolique, tout en se permettant de développer ses enjeux au-delà de son couple de héros. C’est accessoirement les débuts d’Asano en tant qu’assistant.
Blue (Imho) de Naoki Yamamoto se présente comme un recueil d’histoires courtes pour adultes et partage avec La fille de la plage son goût pour les élucubrations existentielles, avant, pendant et après l’acte…👀